In memoriam Dominique Verdier (1954-2021)

La première fois que j’ai rencontré Dominique, c’était il y a dix ans, au tournoi régional annuel du club de Croth, que je disputais pour la première fois également. Cela devait faire un an et demi que j’avais repris le tennis de table, après près de vingt ans d’arrêt, et j’étais licenciée à Garennes. C’était avant la fusion des deux clubs de Croth et de Garennes en ce qui est aujourd’hui le CEGTT. Je m’étais inscrite à deux tableaux et deux fois de suite, je tombai – il n’y a pas meilleur mot – contre Dodo en sortie de poule.

Dominique était encore classé 10 et des bananes à l’époque. Il ne payait pas de mine avec son air bonhomme, ses chaussettes de contention remontées jusqu’à mi-mollets et sa raquette double picot. Et pourtant quel redoutable adversaire. J’eus beau m’escrimer, frapper comme une diablesse, essayer de toper en finesse, la balle revenait toujours de mon côté de la table et, immanquablement, c’est moi qui finissais par faire la faute. Filet. Out. Filet. Maudits picots ! Notre premier match, je le perdis en trois sets secs; le deuxième, je réussis, grâce aux conseils d’un autre joueur de Garennes, à ne le perdre qu’en quatre. Les deux fois, au moment de nous serrer la main, j’eus l’impression que Dominique n’avait pas eu à lâcher une goutte de sueur alors que j’étais, moi, au bord de l’asphyxie, rouge pivoine et dégoulinante.

Moi qui aimais les jeux flamboyants, agressifs, j’avais été battue, pensai-je, par un joueur qui se contentait de remettre la balle sur la table. Et ce faisant, il m’avait usée, physiquement et mentalement ! Autant dire que je n’étais pas ravie-ravie. J’étais fâchée, non contre Dominique, loin de là, mais contre moi-même de m’être laissée prendre à son jeu. Mais j’avais pris une belle leçon de ping, ce sport où le meilleur n’est pas celui qui fait les coups les plus éblouissants mais celui qui remet la balle dans l’autre moitié de table le plus longtemps ! Et quelle leçon de vie quand j’y pense. Le jeu de Dominique était une ode à la patience et au calme.

Si de quelque façon la trajectoire d’une petite balle blanche peut être une métaphore de l’existence, la trajectoire des balles de Dominique en disait long sur l’homme qu’il était. Un homme simple, modeste dans le sens le plus noble du terme – sans orgueil ni vanité –,  posé, serein, mais tenace et endurant. Oui, Dominique vivait comme il jouait au tennis de table. Avec simplicité, calme et décontraction. Devant une table ou dans la vie de tous les jours, il renvoyait la balle autant de fois qu’il le fallait pour arriver tout doucement mais sûrement où il le voulait. Fidèle en amitié, il saisissait toujours la balle au bond quand une occasion se présentait de passer une bonne soirée avec ses copains de toujours, avec lesquels il n’aimait rien tant que regarder un bon match de foot à la maison (Allez, l’AS Saint-Étienne !) avec Monique, sa compagne de toujours et épouse depuis mai dernier, en sirotant quelques bières bien fraîches. Et quand un ami ou un membre du club avait un service à lui demander, il ne lui faisait jamais faux bond; Dominique ne savait pas dire non.

Face à la maladie, Dominique n’a pas changé de stratégie : tant qu’il a pu, il a renvoyé la balle à son mortel adversaire. Il a tenu la table, bien ferme sur ses appuis, et bloqué tous les coups. Il s’est battu stoïquement et courageusement pendant cinq ans, sans jamais rien montrer de ses doutes ou de ses peurs. S’il éprouvait de la colère ou un sentiment d’injustice, il n’en laissa jamais rien paraître.  Quand il repartait pour un énième traitement, il l’acceptait sans rechigner et disait simplement : « Il faut, il n’y a pas le choix. » Nous voulions tous croire qu’il allait finir par venir à bout du crabe comme il venait à bout autrefois de ses adversaires –  en lui résistant et en l’usant –  mais face à un ennemi aussi fourbe et protéiforme, les forces ont fini par lui manquer. Dominique n’a rien lâché mais il a été lâché par son corps, et finalement, il est parti comme il a vécu, doucement, tranquillement, sans crier gare.

Dominique était un peu l’âme de notre club, auquel il avait insufflé sa bonne humeur et son sens de la convivialité. Il est difficile aujourd’hui d’envisager l’avenir sans lui à nos côtés, mais je sais que tant que nous serons fidèles à ses principes et son esprit, tant que notre club continuera de lui ressembler, il restera toujours un peu de lui avec nous.

Repose en paix, Dodo. Tu vas nous manquer.

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